"Les deux cents cimetières du Vieux Paris"

par Jacques Hillairet - Les Éditions de Minuit - 1958 (épuisé)

Chapitre onze

Les protestants, les juifs et les autres personnes considérées par l'Église comme réprouvées (comédiens, suicidés, condamnés à mort, etc...) ne pouvaient être inhumées dans les églises ou dans les cimetières, puisque ceux-ci étaient en terre bénite.

Or, sous l'Ancien Régime, l'état-civil de chaque personne coïncidait avec son état religieux. Si la naissance et le mariage d'un individu non catholique pouvaient ne pas intéresser la police, il n'en était pas de même de son décès. De tout temps, des ordonnances furent prises sur ce sujet ; celle de 1736, par exemple, rappela que les personnes ne bénéficiant pas d'une sépulture ecclésiastique ne pouvaient être inhumées qu'après une ordonnance du juge de police, rendue sur conclusions du procureur du roi.

A Paris, le processus était le suivant : lorsque mourait une personne n'ayant pas droit à une sépulture ecclésiastique, avis en était donné par les parents ou les voisins au commissaire de police du quartier où habitait l'intéressé. Ce magistrat se rendait alors au domicile du défunt, constatait son décès, puis remplissait au Châtelet les formalités requises auprès du procureur du roi et du lieutenant-général de police, lequel accordait le permis d'inhumer, sous réserve que cette inhumation se fasse « de nuit, sans bruit, sans scandale ni appareil ». Nous donnerons au chapitre suivant un exemple de ces formalités. Les parents et amis pouvaient, toutefois, accompagner le défunt, mais il leur était interdit de chanter et de réciter à haute voix des prières.

Mais où se faisait cette inhumation ?

C'est ce sujet qui fait l'objet du présent chapitre, ainsi que celui des deux qui suivront.

Les cimetières protestants

Le protestantisme commença à se répandre dans Paris vers 1525. Dans la première phase de la Réforme, on ne fit pas de distinction entre les croyants et les "hérétiques" en ce qui concernait leurs sépultures et les cimetières paroissiaux leur furent comuns. Il en fut ainsi jusqu'en 1563, quoique les persécutions des Huguenots aient commencé dès 1529.

La possibilité qu'avaient les Réformés d'inhumer les leurs dans un cimetière catholique souleva des incidents. Le corps d'un huguenot enterré au cimetière des Innocents en mars 1562 fut déterré et jeté dans le ruisseau de la rue Saint-Denis ; ses coreligionnaires voulurent le réenterrer, les mêmes fanatiques s'y opposèrent ; d'où une bagarre sérieuse qui fit des victimes des deux côtés. Un incident analogue eut lieu au même endroit en 1564 lors de l'inhumation d'une huguenote.

La première mesure discriminatoire fut prise en 1563, par l'Édit d'Amboise, dont un article, l'article 11, prescrivit que, désormais, les Réformés seraient enterrés dans le cimetière de la paroisse qu'ils avaient habitée, mais qu'ils le seraient de nuit, sans suite, ni accompagnement. Le parlement fit des difficultés à enregistrer cet édit, qui fut confirmé en 1568 après la paix de Longjumeau, puis aboli, et finalement rétabli. Une atténuation était apportée aux prescriptions de l'article 11 visé précédemment, car une suite de dix personnes était autorisée à accompagner désormais le convoi mortuaire d'un Réformé.

Le cimetière de la Trinité

Nous avons vu, au chapitre 10, que, comme suite à cet article 11 de l'Édit d'Amboise, une petite bande de terrain du cimetière de la Trinité avait été désignée, en 1576, pour recevoir les sépultures des Protestants et que ces enterrements devaient s'y faire dans la demi-heure précédant le lever du soleil ou suivant son coucher, soit après 7 heures du soir l'hiver et après 9 heures l'été, prescription qui fut cause d'une bagarre en 1611. Cette petite bande, d'une superficie de 63 toises sur les 1180 que comportait l'ensemble du cimetière, était située à l'endroit le plus éloigné possible de la chapelle de l'hôpital de la Trinité, donc tout à fait au nord du cimetière, soit au débouché actuel du passage Basfour dans la rue Palestro. La partie de cette rue comprise entre le passage Basfour et ses n°° 20 et 22 est sur son emplacement. Une palissade en bois sépara le cimetière des Huguenots de celui des Catholiques.

Un règlement de 1600, pris par François Miron, avait fixé comme suit le tarif de ces inhumations : 2 écus pour l'archer du guet accompagnant le corps du défunt, 1/2 écu pour chacun des porteurs, 10 sols au fossoyeur pour tenir ouverte la nuit la porte du cimetière, et 20 sols au même pour l'ouverture de la terre. Il était interdit aux interessés de demander davantage.

Citons, parmi les Protestants qui furent inhumés dans ce cimetière :

Salomon de Caus, souvent indiqué comme ayant ete persécuté et mort fou à Bicêtre. Ingénieur hydraulicien, il donna la théorie de l'expansion de la vapeur et construisit même une véritable machine à vapeur propre à pomper et à élever de l'eau. Mort en février 1626.

En mars 1598, par l'Édit de Nantes, Henri IV fixa le sort des protestants auxquels il accorda, sous certaines conditions, le libre exercice de leur religion. L'article 45 de cet Édit précisa que pour Paris, outre les deux cimetières que ceux de la religion réformée y avaient présentement, à savoir celui de la Trinité et celui de Saint-Germain, il leur en serait baillé un troisième, un lieu commode à choisir dans le faubourg Saint-Honoré ou dans le faubourg Saint-Denis.

Le cimetière Saint-Germain.

Quel était ce cimetière Saint-Germain visé par cet article ?

C'était le cimetière situé à l'angle nord-est de la rue Taranne (boulevard Saint-Germain) et de la rue des Saints-Pères ; propriété de la paroisse Saint-Sulpice, il avait servi antérieurement et depuis 1259 à des pestiférés. De forme rectangulaire, il mesurait environ 27 toises sur 8 ; son long côté était parallèle à la chapelle Saint-Père qu'il longeait et il séparait celle-ci de la rue Taranne. De nos jours, le petit square de la Charité (n° 186

boulevard Saint-Germain) et le trottoir du boulevard Saint-Germain qui le longe recouvrent son emplacement. Il se trouvait en face du cimetière qui, situé de l'autre côté de la rue Taranne, à l'emplacement actuel du n° 175 du boulevard Saint-Germain, avait été affecté, jusqu'en 1544, à l'inhumation des lépreux de la Maladrerie Saint-Germain (cf. chap. 13).

La possession de ce cimetière par les Protestants, reconnue par l'article 45 de l'Édit de Nantes cité précedemment ne faisait que régulariser un état de fait, car les Protestants l'utilisaient déjà avant 1576 et peut-être même du temps où ils avaient installé une colonie au Pré-aux-Clercs (leur premier synode eut lieu en 1559 dans la rue Visconti).

Citons, parmi les personnes qui furent inhumés dans le cimetière Saint-Germain "en la manière accoutumée", c'est-à-dire "nuitamment, sans bruit, scandale ni appareil" :

Les Protestants furent dépossédés de ce cimetière en 1604 par un arrêt du Conseil pris à la demande de la Fabrique de Saint-Sulpice qui le revendique afin d'y enterrer, comme antérieurement, ses pestiférés. Les Protestants l'évacuèrent donc en 1604. (Nous avons vu au chap. 10 que ce cimetière fut attribué, en 1609, à l'hôpital de la Charité.)

Le cimetière Saint-Pères (appelé, plus tard, de la Charité).

Ainsi dépossédés, les Protestants durent ouvrir ailleurs un nouveau cimetière. A cet effet, ils achetèrent, en 1604, dans le voisinage du précédent, rue des Saints-Pères, un jardin qu'ils payèrent 700 livres à son propriétaire, un maître-orfèvre de la Cité appelé Joachim Meurier. Ce terrain, de forme à peu près rectangulaire, longeait la rue des Saints-Pères sur une longueur de 13 toises environ et avait une profondeur moyenne de 23 toises ; il s'appuyait, par son fond, à la butte du moulin du Pré-aux-Clercs ; son entrée était sur la rue des Saints-Pères à hauteur du n° 30 actuel.

Il fut mis en service le21 mars 1604.

Citons, parmi les personnes qui y furent enterrées :

Citons aussi des membres des familles de La Planche, Gobelin (dont un petit-fils du teinturier, en 1619), Conrart (dont une Marie Conrart en 1641), Caus (dont Isaac, neveu ou frère puiné de Salomon de Caus, inhumé à la Trinité, mort en 1648), Rambouillet et, aussi, la femme de Théophraste Renaudot, morte en 1639.

Les Protestants perdirent ce cimetière en 1685, lors de la révocation de l'Édit de Nantes ; nous avons vu qu'il devint alors un second cimetière de l'hôpital de la Charité.

Le cimetière de la rue des Poules

Nous avons dit plus haut que l'article 45 de l'Édit de Nantes (1598) accordait aux Protestants parisiens un troisième cimetière dans les faubourgs Saint-Honoré ou Saint-Denis. N'ayant pu réussir à l'ouvrir sur la rive droite, ils parvinrent à l'avoir sur la rive gauche, dans le quartier Saint-Médard. Mais ce ne fut qu'en 1614 seulement qu'ils purent acheter à l'abbaye de Sainte-Geneviève, d'ailleurs par personne interposée, le terrain qui leur était nécessaire. Cette abbayene savait pas alors que ce terrain était destiné à recevoir des sépultures protestantes ; lorsqu'elle l'apprit, elle fit tout son possible et ce, encore vingt-trois ans après, pour obtenir l'annulation de cette vente.

Ce cimetière serait situé, de nos jours, à l'angle oriental des rues Laromiguière (ex-des Poules) et Amyot (ex-du Puits-qui-parle) ; son entrée était sur cette dernière rue. 'enclos comportait, en plus de la maison du fossoyeur, une maison où les malades protestants pouvaient être hospitalisés sur la vue d'un billet délivré par un pasteur. Les maisons modernes portant les n°° 8 de la rue Amyot et 11 de la rue Laromiguière ainsi que l'espace qui les relie se trouvent sur l'emplacement de ce cimetière.

La première inhumation qui y fut faite eut lieu le 27 août 1614. On trouve dans la liste des personnes qui y furent enterrées entre cette date et 1685, des membres de la famille Gobelin, des imprimeurs, brasseurs, boutonniers, brodeurs, tapissiers, etc...

Ce cimetière fut désaffecté en 1685, lors de la révocation de l'Édit de Nantes, et donné, avec ses bâtiments, au couvent des Nouveaux-Convertis installé, depuis 1656, dans la rue de Seine-Saint-Victor (Cuvier). Ce couvent le rétrocéda, neuf ans après aux génovefains qui le vendirent à un sculpteur nommé Robert Goret.

Lorsque l'Édit de Nantes fut révoqué, en 1685, il y avait déjà une quinzaine d'années que les Protestants avaient commencé à être à nouveau brimés. C'est ainsi qu'en 1671, des individus surexcités contre eux avaient tenté, au cours d'une nuit, de brûler la porte de leur cimetière de la rue des Saints-Pères après l'avoir enduite de poix, afin de pouvoir y pénétrer et disperser les tombes.

Cette révocation leur ayant fait perdre leurs trois cimetières de la Trinité, de la rue des Saints-Pères, et de la rue des Poules, il s'ensuivit que, lorsqu'un Protestant mourait, le lieutenant de police délivrait à la famille un permis d'inhumer le défunt là où elle le pourrait, dans des champs, dans des jardins, dans des chantiers... toujours de nuit, naturellement et toujours dans la "manière accoutumée". Les Protestants devaient encore s'estimer heureux que leurs corps ne soient pas, comme ceux des relaps, trainés sur une claie et jetés à la voirie.

On vit donc des inhumations nocturnes de Protestants un peu partout : dans des caves, dans des champs près des Invalides (1699), dans le chantier d'une marchande de bois du faubourg Saint-Antoine (1724), dans un terrain vague près de la porte Gaillon (1748), du côté du Roule, des Gobelins. En tous endroits, rien ne signalait leurs tombes à l'attention des passants et il était de bon ton alors de faire la chasse à leur convoi ; Monsieur, frère du roi, ne manqua pas de dénoncer lui-même un convoi qu'il avait vu passer pendant la nuit dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Mais il y avait à Paris des personnes non catholiques, de religion protestante ou grecque-orthodoxe, qui, ressortissant aux royaumes d'Angleterre, de Hollande, de Russie, à l'Electorat de Hesse-Cassel, au duché de Holstein, à la république de Genève, etc... ne devaient pas tomber sous le coup des mesures édictées contre les Protestants français.

Leur sort fut légalement fixé par un article du traité d'Utrecht (1713) qui reconnut leur droit à avoir un cimetière, tant pour eux que pour leurs femmes, enfants et domestiques, leurs enterrements devant toutefois se faire également de nuit et sans cérémonie. D'où l'ouverture du cimetière ci-après :

Le cimetière des Protestants étrangers de la porte Saint-Martin

La Ville de Paris possédait près de la porte Saint-Martin un terrain en forme d'ilot allongé, encore reconnaissable de nos jours, puisque c'est l'ilot qu'entourent la rue René-Boulanger (ex-chemin de la Voirie) et le boulevard Saint-Martin entre le théâtre de la Renaissance et le théâtre de l'Ambigu. La Ville avait là une voirie et des chantiers.

Un arrêt du 20 juillet 1720 accorda dans cet ilot un terrain de 256 toises aux Protestants étrangers pour qu'ils y ouvrent un cimetière. Celui-ci avait la forme d'un rectangle allongé de 32 toises sur 8 ; il était situé dans la partie médiane de l'ilot ; son entrée était dans le chemin de la Voirie, les chantiers de la Ville l'encadraient et il ne s'étendait pas, par le fond, jusqu'au boulevard. Ce terrain, auquel s'intéressèrent les ambassades non catholiques, fut immédiatement clos et aménagé ; un gardien, du nom de Pierre Corroy, fut installé en 1724 et disposa d'une maisonnette dans la cour qui prolongea le cimetière vers l'ouest.

Dès lors, lorsqu'un Protestant étranger mourait, avis en était donné, comme il a été dit plus haut, au commissaire de police de son quartier qui faisait le nécessaire pour que le lieutenant-général de police accordât le permis d'inhumer dans le "cimetière des Etrangers de la porte Saint-Martin", toujours dans la "manière accoutumée".

La première inhumation qui y fut faite eut lieu le 1° septembre 1725 ; ce fut celle d'un Anglais habitant la rue Dauphine. On note, parmi celles qui suivirent, celles du personnel domestique des ambassades non catholiques, d'étudiants anglais ou allemands, de gentilshommes anglais, allemands, écossais, hollandais, genevois, et beaucoup de soldats de la compagnie colonnelle des Suisses.

Ces enterrements revenaient assez cher à ceux qui pouvaient payer. En 1746, le tarif était le suivant :

Pour le procès-verbal du constat du décès . . . .

12

livres

Pour les référés chez les magistrats, l'un pour les conclusions, l'autre pour obtenir le permis d'inhumer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

"

Pour les conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

20

"

Pour le second transport du commissaire fait la nuit à la maison mortuaire et pour la transcription de l'acte d'inhumation sur deux registres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

"

Pour le cercueil, une calèche dans laquelle est le cadavre, un carosse qui suit, le chantre de la chapelle protestante, le concierge, le fossoyeur, ses aides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

"

Total . . . . . .

120

livres

Quant aux Protestants français, rares, il est vrai, ils continuaient à être inhumés de-ci de-là, dans des endroits connus de le police mais ignorés du public. Certains le furent, vers 1720, dans le jardin de l'hôtel du faubourg Saint-Honoré où logeait l'ambassadeur de Hollande, Cornélius Hop.

Sous le règne de Louis XV, les mesures prises jusqu'alors contre eux connurent des palliatifs et, par tolérance, on autorisa tacitement leur inhumation dans le cimetière des Etrangers.

Ce cimetière fut fermé en 1762, car il se trouvait trop dans la ville, surtout que celle-ci ne cessait de s'étendre vers le nord. Son emplacement, toujours propriété de la Ville, servit, à partir de 1767, de dépôt aux décors de l'Opéra alors situé au Palais-Royal. Ce théâtre brûla en 1781 et fut remplacé, à partir du 27 octobre de cette année, par une nouvelle salle que l'on construisit, en partie sur l'emplacement de ce cimetière. Dès lors, il y eut toujours un théâtre sur cet endroit où se trouve, de nos jours, celui de la porte Saint-Martin.

Le cimetière des Protestants étrangers de la rue de la Grange-aux-Belles

Le cimetière précédent fut, à sa fermeture en 1762, remplacé par un autre situé dans un endroit bien défavorisé puisqu'il se trouvait dans le voisinage du second gibet de Montfaucon et de la grande voirie qui lui était annexée.

D'une superficie de 565 toises, il se trouvait situé à l'angle de nos rues des Écluses-Saint-Martin et de la Grange-aux-Belles ; il s'étandait le long des n°° 47, 45, 43 et 41 de cette dernière rue et du n° 1 de la première. Peut-être avait-il reçu jadis les corps des victimes des épidémies de peste de 1619 et 1702, le cimetière de l'hôpital Saint-Louis voisin ayant dû être alors insuffisant ?

Cet enclos comportait deux parties séparées par un mur ; aux n°° 47 et 45 de la rue de la Grange-aux-Belles et 1 de la rue des Écluses-Saint-Martin était une our pavée contenant le logis du concierge, fils ou petit-fils de Pierre Corroy cité plus haut. L'autre partie, plus grande, aux n°° 43 et 41 de la rue de la Grange-aux-Belles, plantée d'arbres fruitiers constituait le cimetière protestant proprement dit où quatre allées en croix délimitaient quatre carrés où la famille Corroy cultivait légumes, asperges et artichauts.

Y fut enterré :

John Paul Jones. Marin anglais, il avait pris, en 1775, du service dans la marine américaine où il se distingua par son courage aventureux ; c'est ainsi qu'en 1778, il pilla, puis brûla le port anglais de Whitehaven. Nommé premier amiral de la marine des Etats-Unis, il servit plus tard la Russie. Mort en 1792, rue de Tournon, à 45 ans, sans ressources. Un commissaire du roi, nommé Simoneau, fit faire à ses frais un cercueil de plomb que l'on remplit d'alcool où on plongea le corps du défunt. En 1899, l'ambassade des Etats-Unis fit rechercher le corps de l'amiral Jones qui fut finalement retrouvé en 1905, à 1 m 50 de profondeur, sous une légère construction édifiée dans la cour du n°41. Il fut transporté aux Etats-Unis où il repose dans une sépulture nationale.

La Révolution ayant rendu aux différents cultes, ce cimetière devint sans objet à partir de la loi de septembre 1792 sur l'état-civil. Les Domaines le louèrent, en 1794, pour 400 livres à la famille Corroy, puis le vendirent pour 15.100 livres en 1796, cela en violation de la loi de mai 1791 spécifiant que les terrains de cimetières désaffectés ne pourraient être mis dans le commerce moins de dix ans après cette désaffectation.

Le cimetière du Port-au-Plâtre

Les Protestants français avaient eu, au XVIII° siècle, avons-nous dit, la possibilité d'être inhumés par tolérance dans le cimetière des Etrangers. Mais certains restèrent méfiant, la crainte subsistant chez eux de voir un jour leurs cadavres exhumés et jetés à la voirie. D'où l'ouverture, en 1725, d'un champ de sépulture précaire, quoique secret, mais non ignoré de la police.

Ce champ se trouvait dans la région, dite du Port-au-Plâtre, située depuis la pointe de l'Arsenal jusqu'à la barrière de la Rapée, région que limitent de nos jours le quai de la Rapée, les rues Traversière, de Bercy et Villiot. En arrière du quai se trouvaient des chantiers de bois à brûler ou de bois de charpente arrivés par flottaison et stockés ici en attendant leur répartition entre les marchands de bois de Paris.

Les inhumations se firent, en particulier, dans le chantier de la dame Champtecotte et dans le grand chantier du sieur Moreau (1), plus particulièrement réservé, semble-t-il, à des Protestants riches et importants, inhumés, toutefois, sans aucune pompe funèbre. On cite parmi eux, des membres des familles Delessert, Mallet, Thélusson, de Witt et, en 1755, un Calas, de Genève. Et aussi :

Angliviel de la Beaumelle, né dans le Gard de parents protestants, élevé dans un collège de charité que dirigeait l'évêque d'Alais, puis redevenu protestant. Il enseigna la littérature française à Copenhague, à Berlin, et eut le tort d'exciter contre lui l'animosité de Voltaire qu'il compara à un "vieux singe". Il eut toutefois une place à la bibliothèque royale de Paris, ce qui ne l'empêcha pas d'aller à la Bastille pour ses Notes sur le siècle de Louis XIV. Mort en 1773, à 47 ans.

Ce ne fut qu'en 1777 seulement que le roi accorda "officiellement" aux Protestants français la faculté d'inhumer leurs morts dans la cour du cimetière des Protestants étrangers, qui était alors celui de la rue Grange-aux-Belles.

La première personne qui bénéficia de cette autorisation fut un certain Molmier, mort en 1777, à 45 ans. Le cimetière du Port-au-Plâtre commença alors à décliner ; quelques années plus tard, la Révolution amenait sa fermeture.

(1) Le nom d'une rue de voisinage rappelle celui de ce commerçant.