Voici l'exemple d'un document propre à intéresser par sa richesse le généalogiste et l'historien local.
Je présenterai ici les quelques éléments d'explication dont je dispose actuellement. Ce n'est que récemment que j'ai été amenée à m'intéresser à des familles giennoises et par là à l'histoire de cette ville. N'ayant pas encore eu la possibilité de me rendre aux Archives départementales du Loiret, aux Archives nationales ou dans d'autres fonds peut-être susceptibles de nous éclairer sur le personnage central de ce document, j'invite les généalogistes et historiens du Loiret à me contacter s'ils possèdent d'éventuels compléments ou rectificatifs.
Il s'agit du testament de Pierre Chaseray.
Cet acte, appartenant à un fonds privé, avait été partiellement présenté dans un article du baron de Fumichon, dans un bulletin de la "Société des Antiquaires du Centre", en 1927. L'original, établi devant Etienne et Huguet Amyot notaires à Gien, datait du 26 octobre 1580. J'ignore s'il existe encore. Le texte ci-dessous est une copie manuscrite sur papier du 25 février 1633 signée du greffier du bailliage de Gien. A l'intérieur du double feuillet se trouve un document du 9 août 1639 concernant les modalités d'application du testament.
Le texte est reproduit en troisième partie avec orthographe et ponctuation originales; les termes en italique sont ceux dont la lecture s'est avérée délicate.
Il se présente comme baron de Courson, seigneur de Thury en Beauce et des Bourses. Il est notaire secrétaire du roi maison et couronne de France ainsi que général des finances du roi pour la généralité de "Languedoil" établie à Bourges. Il se qualifie de "noble homme", ce qui a l'époque dans les actes notariés désigne plus souvent un niveau de vie qu'une catégorie sociale rigoureusement définie. On peut en déduire qu'un tel homme vit dans l'aisance et a vraisemblablement acquis des fiefs anciennement nobles et des offices importants.
D'après le baron de Fumichon, qui cite l'Annuaire de l'Yonne de 1878, la terre de Courson serait située dans l'Yonne et aurait été achetée par Pierre Chaseray le 3 juin 1572 pour 38000 livres. Il n'évoque pas les seigneuries de Thury en Beauce et des Bourses.
Un article de Liliane Violas, dans l'Eclaireur du Gâtinais du 8 avril 1999, nous apprend que le château des Bourses est situé sur la commune de La Selle-en-Hermoy (Loiret) et appartenait à Pierre Chaseray dans les années 1560 avant de passer dans la famille de Loynes.
Une recherche plus approfondie sur ses possessions foncières s'avèrera donc indispensable.
Les fonctions de notaire secrétaire du roi et de général des finances montrent que Pierre Chaseray appartenait au monde des officiers, en plein essor au XVIe siècle, les rois successifs trouvant dans la vente d'offices une source de profit tandis que la bourgeoisie marchande les utilise comme moyen d'ascension sociale. D'après le baron de Fumichon, Pierre était déjà général des finances en 1563. Mais avait-il acheté ces offices, quand, à quel prix ? En avait-il plutôt hérité ? Je n'ai encore aucun élément à ce sujet.
Le testament nous apprend que Pierre avait épousé Nicole Boilleve, toujours vivante en 1580. Détail intéressant, il est précisé que Nicole était fille et héritière unique de défunte Michelle Billaut et qu'elle reçoit en propre à ce titre une propriété sise au lieu-dit le Trousset, paroisse de St Loup-lès-Orléans, qui avait auparavant appartenu au sieur Bastien Petot. Cette piste géographique n'a pas encore été suivie.
Pierre est vraisemblablement né à Gien, ou du moins sa famille y a de solides attaches. En effet, même si ses fonctions et les troubles de la période l'ont conduit à vivre ailleurs, peut-être Orléans ou Bourges ou dans son château des Bourses, c'est à Gien qu'il habite et possède une maison en 1580 et c'est là qu'il souhaite être inhumé, dans l'église St-Laurent, "près la fosse" où reposent déjà son père, sa mère, ses frères et sœur. Le nom de ces derniers n'est pas cité, le baron de Fumichon ne les connaissait pas non plus, cela reste à découvrir.
Un détail non négligeable repose sur la lecture des mots "frere(s) et seur". S'il semble certain que "seur" est au singulier, la lecture de "frere" est plus sujette à discussion. Le baron de Fumichon a transcrit "frere". Personnellement, en comparant avec les mots "freres minimes" quelques lignes plus bas, j'y vois un pluriel. Mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit là d'une copie établie plus de cinquante ans après l'original. La prudence s'impose donc dans ce genre de déduction.
Pierre Chaseray nomme trois neveux comme exécuteurs testamentaires, Jehan, François et Pierre Chaseray mais ne précise à aucun moment s'ils sont frères ou cousins germains. Comme les neveux restent également à identifier, on voit que ce "s" a son importance.
Pierre évoque également Catherine Chaseray, épouse d' Antoine de Loynes seigneur de Fromentières, et Michelle Chaseray, épouse de Jean Hue, ainsi que Charles Hue fils de ces derniers. Bien que le lien familial ne soit pas précisé, on peut supposer qu'il s'agit des deux filles du testateur et de leurs conjoints. On apprend que le couple Hue a eu jusqu'à la date du testament la jouissance d'une propriété nommée la "Dacgoupe" située près de celle du Trousset ci-dessus évoquée, appartenant à Michelle Billaut puis à Nicole Boillève.
Le baron de Fumichon, citant une Généalogie de la famille de Loynes (1895, Orléans), présente Antoine de Loynes, protestant, président de la Chambre des comptes de Blois et général des finances au comté de Blois, mort en 1594, comme le gendre de Pierre Chaseray.
Dans le document de 1639 annexé au testament apparaît Anne de Loynes, veuve de Centurion du Tertre, écuyer, seigneur d'Escouffan. Elle est dite "sortant de la maison dudict feu sieur général son ayeul" et c'est de sa part que ses cousins Chaseray veillent à l'application de certaines dispositions testamentaires de Pierre.
On peut donc penser que Pierre Chaseray n'avait plus que deux filles en vie à la date de son testament et a préféré confier l'application des clauses de celui-ci à une branche masculine Chaseray représentée par ses neveux.
Le testament donne-t-il des indices pour identifier les trois neveux ? Non, si ce n'est qu'ils sont appelés "honorables hommes et sages" donc majeurs.
Par contre, dans l'annexe de 1639, on découvre le nom de deux exécuteurs testamentaires: Daniel Chaseray conseiller du Roi, lieutenant criminel au bailliage et comté de Gien, et François Chaseray seigneur de Villargis (ou Villeregis). Or par mes recherches, je dispose de quelques informations sur ces deux hommes.
Daniel Chaseray, né vers 1567, est mort le 11 octobre 1643 paroisse St-Laurent de Gien et François, conseiller et élu pour le roi en l'élection de Gien, est vraisemblablement décédé le premier mars 1642, même paroisse, à environ soixante dix-neuf ans. Daniel et François sont frères, fils de François mort avant avril 1597, et de Thibaude Fortet. Il apparaît alors tout à fait plausible que ce François père soit un des trois neveux cités dans le testament de 1580. Pierre Chaseray avait en effet expressément stipulé que l'exécution de ses volontés reviendrait à la descendance mâle aînée de ses neveux.
Je ne dispose d'aucun élément sur le neveu prénommé Pierre.
Quant à Jehan, il en existe un à Gien mort entre 1597 et 1604, marié à Marie Gaddes, qui était procureur du roi. Il se pourrait que ce soit chez lui que le protestant Jean d'Aubigné, père du célèbre Agrippa, en fuite depuis l'échec de la conjuration d'Amboise, se soit réfugié un mois, sans doute durant l'été 1562.
Jehan Chaseray a eu au moins neuf enfants dont deux fils: Jehan, seigneur du Bois, procureur du roi au grenier à sel, mort en 1611, semble-t-il sans alliance ni postérité, et Pierre mort en septembre 1622, également procureur du roi et avocat au grenier à sel de Gien. Cette branche-là est protestante, c'est par des dates provenant du manuscrit n° 1082 de la bibliothèque de la Société d'Histoire du Protestantisme Français, qui est un relevé des actes d'état-civil de l'église réformée de Gien, et par le testament de Jehan seigneur du Bois, que j'ai eu connaissance de cette famille.
Si ce Jehan père est bien le troisième neveu, pourquoi aucun représentant de sa branche ne figure-t-il dans l'annexe de 1639 ? On vient de le voir, Jehan fils, seigneur du Bois, est mort dès 1611, sans alliance connue. Pierre son frère est mort en 1622. Peut-être était-il marié à Suzanne Debenes avec laquelle il a eu au moins deux fils nés en 1617 et 1619, mais rien ne prouve qu'ils soient encore en vie en 1639. S'ils le sont, les cousins germains de leur père supposé sont encore vivants donc prioritaires sur eux. On peut aussi s'interroger sur le fait que la branche de ce Jehan est protestante alors que Daniel et François présentés ci-dessus sont vraisemblablement catholiques. Cela peut-il être en 1639 un motif de mise à l'écart ?
Toutes ces hypothèses demanderont bien sûr à être sérieusement creusées.
Pierre Chaseray était protestant. Paul Gache dans son "Histoire de l'Hermois" le présente comme un des principaux bailleurs de fonds du parti huguenot de l'amiral Coligny.
Ses convictions sont-elles apparentes dans cet acte ? Comme la grande majorité des testaments pendant plusieurs siècles, celui-ci comprend plusieurs lignes consacrées au salut de l'âme du testateur. On y relève la phrase habituelle sur la certitude de la mort et l'incertitude de l'heure de son arrivée impliquant la nécessité pour le chrétien de tenir ses affaires terrestres en ordre pour parer à toute éventualité.
Pierre doit être déjà âgé en 1580, il est "au lict mallade" (on note la présence de trois médecins et un apothicaire parmi les témoins) et il possède des biens dont il souhaite disposer avec beaucoup de précision, il est donc indispensable pour lui de tester.
Il confie le salut de son âme au "pere filz et sainct esprit" et espère le pardon et la rémission de ses fautes par le Christ. Contrairement à beaucoup de testaments catholiques, il n'est pas question ici de l'intercession de la Vierge ni d'aucun des saints. Néanmoins, il souhaite être inhumé dans l'église de "monsieur sainct Laurent" où repose sa famille.
Bien que l'on soit en pleine guerre de religion, dans une région particulièrement disputée depuis des années par catholiques et protestants, on constate que Pierre Chaseray fait des dons à tous les établissements religieux de sa ville: cent écus d'or soleil, soit environ trois cents livres tournois, à St-Laurent dont l'édifice a besoin de réparations, et dix écus d'or à St-Pierre de Gien-le-Vieil, aux frères Minimes, aux sœurs Ste-Claire et à l'église St-Etienne. Tous ces édifices avaient sûrement besoin de restaurations après les saccages et pillages répétés des années 1560/70, évoqués notamment par les mémoires de l'abbé Vallet. Durant cette période, Gien avait alterné domination protestante et catholique à diverses reprises.
Enfin, comme nous le détaillerons un peu plus loin, Pierre souhaite aider des enfants pauvres de Gien sans distinction de religion tant "catholique que pretendüe reformée".
Outre des espèces sonnantes et trébuchantes dont nous verrons l'utilisation ci-après, le testament nous apprend que Pierre possédait une maison à Gien dont l'emplacement n'est pas précisé. Il en laisse l'usufruit à son épouse. Il dispose également de trois propriétés dont ni la localisation, ni la taille, ni la valeur ne sont données: le Cloux, la Ratiere et Cernoy. Il existe un Cernoy-en-Berry au sud de Gien mais aucun élément ne me permet actuellement de savoir si c'est le même. Une recherche sur ces propriétés est à faire. Pierre en laisse également l'usufruit à sa femme.
Il est curieux que les terres citées au début du testament, Thury, Courson, les Bourses, ne soient pas évoquées dans les dispositions. Les possède-t-il encore ? Les guerres de religion lui ont-elles causé des pertes ou confiscations ? A-t-il pris antérieurement des mesures les concernant ? On a vu ci-dessus que le château des Bourses était passé à la famille de Loynes. D'après Paul Gache ce serait chose faite dès 1579. Cet auteur nous apprend que la Selle-en-Hermois a souffert de crise économique et de famine dans les années 1570, le fief des Bourses ne rapportant que 80 livres de revenu à Pierre Chaseray en 1575.
Là encore, le testament ouvre des pistes de recherche sans fournir de réponse.
Pierre fait un don de 1166 écus deux tiers aux enfants (dont le nombre n'est pas précisé) d'Anthoine de Loynes et Catherine Chaseray. Il semble que ce soit une sorte de compensation, son autre fille Michelle ayant bénéficié de prêts, d'aide pour payer la pension de son fils Charles à Montargis, et de la jouissance de la propriété de la "Dacgoupe".
Pierre avait au moins deux servantes et deux serviteurs en 1580, auxquels il laisse des sommes de vingt à cinquante livres tournois selon les cas, en plus de leurs gages habituels.
Pour avoir une chance d'en savoir plus sur le montant précis et la composition de la fortune de Pierre, il faudra chercher trace d'un inventaire après décès, d'un acte de succession ou de dissolution de communauté, d'un acte de donation ou de vente du château des Bourses, trouver la date du décès de Nicole Boilleve et éplucher son éventuelle succession. Nous ne savons pas si de tels actes existent encore.
Outre les dons aux établissements religieux, Pierre prend une série de mesures concernant les pauvres et il charge sa femme, et après elle ses neveux et héritiers, d'en poursuivre l'application sans limitation de durée. Tant qu'il y aura des héritiers mâles Chaseray, ils en seront responsables. En cas d'extinction de la famille, la charge reviendrait au corps de ville de Gien. L'annexe de 1639 permet de constater qu'à cette date les volontés de Pierre étaient toujours respectées par ses descendants. Nous ignorons si cela a continué après. Il serait intéressant de le savoir. Peut-être les archives de la ville de Gien en conservent-elles trace ?
Pierre donne une somme de deux mille écus d'or soleil à la ville, soit environ six mille livres tournois, charge à cette dernière de la transformer en rente, pour venir en aide à différentes catégories de personnes.
Tout d'abord, trente trois écus un tiers seront affectés chaque année aux pauvres de l'hôtel-Dieu, l'administration de cet établissement étant tenu d'en rendre compte à l'épouse du testateur ou à ses neveux par la suite.
Ensuite, cent écus par an seront utilisés pour financer l'apprentissage de vingt enfants pauvres de Gien, douze garçons et huit filles, tant catholiques que protestants. La formation durera trois ans et s'il reste de l'argent sur la somme prévue, il sera employé à la location d'un atelier pour les garçons et à l'aide au mariage pour les filles. Les garçons, choisis en fonction de leur mérite et de leurs aptitudes, ont un assez large choix dans l'artisanat (menuisier, parcheminier, serrurier, charpentier et autres). Les filles apprendront la couture. Le corps de ville devra présenter la liste des enfants choisis à Nicole Boilleve ou, après elle, aux descendants Chaseray.
L'annexe de 1639 contient la liste des garçons et filles proposés cette année-là à l'entrée en apprentissage. Des croix devant certains noms précisent ceux qui ont été écartés. Le nom des parents de ces enfants est précisé mais pas la paroisse et la religion. Il serait très instructif de comparer cette liste aux registres paroissiaux catholiques et protestants pour tenter de connaître leur âge, leur quartier, leur religion et la profession de leur père.
Un critère déterminant semble être la perte du père. Sur les treize garçons proposés, dix sont orphelins de père, et neuf filles sur dix-sept. La mort du chef de famille se traduisait souvent alors par le basculement des familles modestes dans la misère. Avoir un enfant admis gratuitement en apprentissage devait apporter un réel soulagement matériel aux veuves même si la situation économique est sans doute moins catastrophique à Gien en 1639 qu'en 1580. Il faut néanmoins se souvenir que la population de la ville a été gravement touchée par l'épidémie de peste de 1626.
La liste des candidats a été dressée par au moins trois échevins dont le nom est mentionné au bas, Nicolas Besagny, Pierre Amyot et Pierre Caillart, les deux derniers étant conseillers du roi élus en l'élection de Gien.
En parcourant le manuscrit n° 1082 de la bibliothèque de la Société d'Histoire du Protestantisme Français qui contient un relevé d'une partie des registres protestants de Gien, dont les originaux ont été détruits pendant la Seconde guerre mondiale, j'ai pu constater que les volontés de Pierre Chaseray étaient encore au moins en partie respectées en 1639.
En effet, dans la liste des enfants sélectionnés, j'ai pu en repérer cinq, dont quatre retenus, d'origine protestante:
Est-il possible de savoir ce que sont devenus ces cinq enfants ? Cela s'avère difficile, notamment à cause de l'imprécision des actes de mariage qui sont pour la plupart non filiatifs. Deux pistes seulement ont été relevées:
Il semble que Jean Merlin, devenu tourneur, épouse le 22 juillet 1653 Elisabeth Durand qui meurt des suites d'une fausse couche dans la deuxième moitié de l'année 1656. C'est vraisemblablement ce même Jean Merlin qui se remarie à Françoise Maucotte ou Moquet de Châtillon-sur-Loire, le 5 juillet 1657.
Une Suzanne Gregoire épouse Pierre Butet vigneron le 10 janvier 1649.
Revenons aux volontés du défunt. Une autre partie de la rente devra être utilisée pour doter chaque année cinq filles pauvres à marier de la ville ou des faubourgs de Gien, dont la liste sera également soumise par le corps de ville à la famille Chaseray.
Enfin, indépendamment de la rente ci-dessus, cent pauvres recevront chacun vingt sols lors du décès du testateur.
Dans cette France d'Henri III déchirée depuis des années par les guerres religieuses, dans une région touchée par les exactions de toutes sortes et affaiblie par le marasme économique, de telles libéralités ont du être particulièrement appréciées par le corps de ville de Gien dont les moyens d'aide aux pauvres devaient être bien limités en 1580.
Et il est intéressant de constater que malgré les soubresauts politiques et religieux de la période, dont les conséquences étaient ressenties jusqu'au sein des familles, les volontés philanthropiques d'un notable protestant aient été honorées pendant au moins deux générations.